Contexte historique et politique

L’objectif du gouvernement libéral de Jean Charest en mettant en place une hausse des
frais de scolarité était de pallier au sous-financement des universités et rendre celles-ci plus concurrentielles à l’échelle internationale. Le débat n’est pas nouveau.

Mondialement, les jeunes et les étudiants-es ont toujours été à l’avant-garde d’importantes transformations sociales dont plusieurs générations et pays ont été témoins (Mai 68, Tian’anmen, Mexique, Chili, États-Unis, Afrique du sud, Philippines). Évidemment, la hausse que le gouvernement tente d’imposer aux universitaires québécois est la plus importante à ce jour ; la réponse, elle, est vite devenue la plus grande mobilisation de l’histoire du mouvement étudiant au Québec et ses échos se font déjà ressentir à travers le monde. Il s’agit de la neuvième grève générale illimitée mise en branle par les étudiants québécois depuis 1968.

Dans cette « lutte », deux visions complètement opposées se confronte; l’une vise la préservation de la qualité de l’éducation postsecondaire par la hausse de frais de scolarité et d’autres mesures fiscales défendues selon la vision de l’utilisateur-payeur ; l’autre préconise l’accessibilité universelle et publique des universités et fait de la précarité économique, de l’endettement étudiants-es et de la vision marchande des institutions publiques son cheval de bataille.

La grève étudiante a divisé et polarisé la société québécoise plus qu’elle ne l’avait jamais été depuis le dernier référendum en 1995.  Les manifestations nocturnes, la répression policière, la position rigide du gouvernement, la loi 12 et finalement le mouvement des « casseroles » ont eu des répercussions sur l’ensemble du Canada et à travers le monde. Cette intensité et cette ferveur populaire ont été grandement nourris par les grands médias d’un côté et par les réseaux sociaux de l’autre. D’un côté, le gouvernement en place parlait de la majorité silencieuse et les « carrés verts », les étudiants-es contre la grève, ont pris parole dans la place publique et ont demandé des injonctions. De l’autre, de nouveaux mouvements ont pris naissance, comme celui des mères indignées, des carrés blancs et des APAQ (associations populaires autonomes de quartiers).

Le gouvernement de Jean Charest affirmait que la décision de hausser les frais de scolarité n’était motivée que par un seul facteur, soit de préserver la qualité de l’éducation postsecondaire. « Dans la solution proposée par le gouvernement du Québec, c’est l’État québécois à travers les contribuables qui, à travers leurs impôts, vont faire la part du lion en termes de financement des universités et des collèges » a martelé le Premier ministre, « et nous demandons aux étudiants d’assumer leur juste part ». Le gouvernement Charest a par ailleurs rejeté l’argument voulant que les démunis et la classe moyenne voient leur accessibilité aux études supérieures compromise. « Tous ceux qui sont boursiers vont recevoir un montant équivalent additionnel qui représente (l’équivalent de) l’augmentation des frais de scolarité, pour protéger l’accessibilité », a soutenu M. Charest.

Aux antipodes de cette vision économiste, les grévistes et ceux qui les soutiennent prétendent que la connaissance n’est pas une marchandise, que tout en étant un investissement personnel, elle doit profiter à l’ensemble de notre société et non répondre aux lois de l’offre et de la demande des marchés financiers.  Normand Baillargeon, dans Je ne suis pas une PME, s’insurge lui aussi contre le « sabordage » de l’université par l’entreprise privée et s’ inquiète, par le fait même, de l’avenir de la liberté académique et de l’indépendance des institutions vis-à-vis des sources extérieures de financement. Selon lui, gérer une université dite publique selon des objectifs managériaux de rentabilité changera immanquablement  l’essence même de l’institution.

[…] s’il est vrai que l’université n’avait aucunement répugné jusqu’ici à entretenir des liens avec les institutions économiques et à leur apporter diverses contributions souvent appréciables, ce n’est pas la même chose que d’en adopter les normes, les principes et les modes de fonctionnement.  Or, c’est cela qui est radicalement nouveau et qu’il s’agit de comprendre au moment où le capitalisme lie son destin à celui de l’économie du savoir et où l’université, tout comme l’éducation en général, est sommée de se repenser et de se remodeler selon les exigences propres à une telle économie. 1

Ce malaise ambiant face aux mesures du néolibéralisme économique se fait ressentir un peu partout depuis quelques années maintenant ; du sommet des Amériques dans la ville de Québec au mouvement  Occupy, en passant par le rejet massif des mesures d’austérité par la population européenne, la crise de la dette en Grèce, les luttes étudiantes du Chili, les étudiants-es en Angleterre et ceux du Mexique… Ces mouvements ont sans contredits inspiré et influencé celui des étudiants-es québécoises.

L’ampleur du mouvement témoigne de la contestation générale qui dépasse amplement la simple question des frais de scolarité en s’attaquant justement aux principes plus larges de la mise au pas des services publics à l’économie de marché. Ainsi, au Québec, la lutte touche désormais l’accessibilité au système de santé, l’exploitation des ressources naturelles, l’endettement généralisé de la population, l’explosion des tarifs d’ électricité, du logement et des denrées alimentaires et de la condition féminine … La suite de l’histoire reste encore à écrire.

1. BAILLARGEON, Normand, Je ne suis pas une PME : Plaidoyer pour une université publique. Éditions Poètes de Brousse, Montréal, 2011.